jeudi 13 octobre 2011

octobre 88, ses bribes de luttes, ses petites victoires, ses difficultés mais surtout ses espoirs.



D’octobre 88 au moment présent, la société n’a pas connu de répit. Derrière le chaos sensible dans lequel s’est installée l’Algérie y a un ordre insensible, pour reprendre la formule de Paul Virilio. Cet ordre c’est celui du despotisme néolibéral.  La dérégulation n’est-ce pas son crédo ? Il n’intervient que pour laisser passer et laisser faire les spéculateurs, les corrompus et les fraudeurs. Et n’est-ce pas Ouyahia qui  a appliqué la potion amère, sous couvert du FMI pour crédibiliser des mesures contestées ? Notre docteur Mengele national, a fait preuve d’un bel acharnement thérapeutique en direction aussi bien des travailleurs que des cadres du secteur public, dont l’une, madame Laouar mourût en prison avant d’être innocentée, tandis que les employés des galeries algériennes étaient poussés au suicide, après avoir été laissés sans salaires. Pourtant ce même Ouyahia, toujours avec le même aplomb que lui donnent quelques décideurs de l’ombre, n’hésite plus à agiter le drapeau du patriotisme économique et à fustiger le libéralisme de la mamelle. Mais cette mamelle c’est bien le pouvoir qui s’y est agrippé si fermement ! Tout en abandonnant, dès 88, les idéaux de justice, d’égalité et de dignité qu’incarnait, jusque là, l’idée de socialisme banni de la Constitution depuis lors. Parce qu’il ne faut pas faire de l’idéologie dans une Constitution, même si on garde l’article 2 qui proclame l’islam religion d’Etat et que Tamazight est acceptée comme langue nationale, elle aussi, mais pas comme langue officielle. Mais n’allez pas y voir de l’idéologie ! Ne parlez pas d’arabo-islamisme conservateur, ça serait offensant pour nos dirigeants éclairés. Non, depuis octobre 88, ils ont renoncé à nous imposer quoi que ce soit. Même l’armée s’est retirée du comité central du FLN. D’ailleurs il ne s’appelle plus comme ça. Quand je dis il je veux dire le comité pas le FLN. Parce que le FLN est toujours là. Depuis octobre 88 on est passé du système du parti unique à celui de système à parti hégémonique, ou plutôt à celui de l’Alliance présidentielle qui signe l’incapacité de ce système à rompre avec le concept de parti/Etat. Voilà un domaine où il n’aura pas réussi à combattre l’inflation. Il ne nous inflige plus un parti/Etat mais trois ! Leur opposition aux maigres avancées dans les projets de loi électorale ou sur les partis est significative de leur obsolescence. Mais peut être Bouteflika compte-t-il sur leurs pressions islamo-conservatrices pour ramener les démocrates à accepter sa démarche, avant de passer non plus à une Alliance mais un parti présidentiel ? Après tout ne se montre-t-il pas encourageant envers ces forces qui au final seront prêtes à s’accommoder de ses réformes tant qu’elles restent associées au pouvoir ? Au point où même Ouyahia n’hésite pas à se transformer en imam et à donner des leçons de morale aux consommateurs d’alcool. La morale, oui, Ouyahia qui donne des leçons de morale. On ne doit plus être loin de l’Apocalypse.
Pas plus que Chadli en octobre 88, qui, lui aussi, avait commencé une nouvelle ère par une amnistie, Bouteflika n’a pris la mesure des aspirations. Il ne sera pas notre Mandela, même pas notre De Klerk. C’est râpé pour le prix Nobel. Comme pour Chadli d’ailleurs. La jeunesse que l’un appelait à la révolte et dont l’autre appelait à entendre la révolte dans une kermesse d’élus locaux, reste toujours la grande oubliée des réformes. On lui consacrera encore quelques milliards avec l’Ansej, mais a-t-on fait le bilan des politiques menées depuis les premières coopératives de jeunes post-octobre 88 ? Elles ont surtout permis d’enrichir quelques importateurs de fours à pizza et de bus, ainsi que les banques qui auront épongé l’épargne nationale, pour finir avec d’encombrantes surliquidités. Le résultat c’est que les jeunes chômeurs, pas très satisfaits du bilan globalement positif que décline régulièrement le pouvoir, à l’image du bulletin de santé de Bouteflika, reçoivent, à défaut d’un emploi, des coups de matraque. Pour ne pas faire de jaloux, ils subissent le même sort que les jeunes venus rendre hommage aux victimes du 5 octobre 88 au Square Port-Saïd, la Place des Martyrs ayant fait l’objet d’une mesure de bouclage permanent, sous prétexte de travaux. Alors que la police les emmenait au commissariat et les traitait comme des délinquants, les trafiquants de devises poursuivaient leur petit commerce. Business as usual. Peut être que, tout au plus,  les cours ont légèrement frémis. Un peu comme à Wall street on épargne les délinquants en cols blancs pour embarquer les indignés. Mais comme les banques ont trop d’argent, la tripartite se terminait, ce jour là, avec l’effacement de la dette des entreprises privées. Tandis que Reda Hamiani, qui n’apparaît pas comme le patron le plus moderne, pouvait exprimer sa crainte de voir, dans le futur, la surenchère trotskyste et la lutte des classes accompagner la participation des syndicats autonomes à des travaux qu’Ouyahia aura, cette fois encore, dirigés d’une main de maître en compagnie de l’indispensable Sidi Saïd. Comme en octobre 88 le pouvoir refusait d’écouter les travailleurs de la zone industrielle de Rouiba, le pouvoir d’aujourd’hui a, encore, exclu d’entendre les syndicats autonomes. Autres temps, autres réalités, hier il s’agissait encore de ceux du secteur productif, aujourd’hui il s’agit essentiellement de travailleurs de la fonction publique qui crient leur colère. Mais, cette quasi-disparition du secteur industriel, le Président du Forum des Chefs d’Entreprises ne se l’explique que par la bureaucratie. Cette même satanée bureaucratie qui - déplore-t-il - fait que les devises s’échangent au Square Port-Saïd. Après tout n’est-il pas dans son rôle de regretter que la cotation de la monnaie nationale ne dépende pas uniquement du marché ? Il ne veut plus du dinar algérien comme d’une monnaie administrée, vestige d’une époque révolue. Comme il ne veut plus de subventions pour les produits de première nécessité. On n’est pas allé assez loin, assez vite. Il aurait peut être préféré confier l’épargne obtenue au prix de tant de douleurs à Madoff et pas seulement aux bons soins du trésor américain, pourtant déjà plus si fiable?

Du chahut de gamin, comme disait un ministre en place en octobre 88, aux 100 000 morts qui ont suivi et à l’émeute permanente qui s’épanouie sous le ciel de la Concorde civile, beaucoup n’ont toujours pas pris la mesure du fiasco national et saisi la nature des exigences de changement radical.  La déchéance que dénonce la société  marque la fin du déclin du système. Elle est  le symbole de l’échec total et définitif du système.  Elle ne pose pas qu’un problème de pouvoir, assimilable à un essaim de sauterelles qui se serait abattu sur un champ, elle pose un problème de valeurs. Elle met en évidence le caractère de la crise, crise de la nature de l’Etat, des valeurs qui le légitiment et le constituent, des forces qui en composent le socle. Malheureusement l’incapacité du pouvoir à prendre la mesure des défis se lit dans sa manière de mettre l’accent sur les moyens du changement plus que sur les fins. A–t-il des souffleurs de texte égyptiens ou tunisiens ? S’appellent-ils Tantaoui, Caïd Essebsi ? Maîtres en louvoiement et en temporisation. En tous cas la volonté de contrôle absolu du processus du changement est l’illustration des conceptions du pouvoir. Elles s’expriment dans son formalisme institutionnel, dans sa marche forcée vers les échéances électorales dont il est incapable de faire en sorte qu’elles mobilisent la société. Il mène des réformes en vase clos. Je ne veux pas voir une tête qui dépasse, tout le monde dans les rangs nous dit le pouvoir. Il veut imposer le compromis à la société, mais la société ne veut plus de compromis. Le compromis a été imposé en octobre 88, avec les conséquences que l’on sait, il a été renouvelé en avril 1999, avec les conséquences que l’on voit. Il est dépassé. Il est réduit en cendres. Celles de cette jeune femme qui vient de s’immoler à Oran parce que la justice, quelle ironie, l’a expulsée de chez elle. Le désespoir n’interdit pas la dignité. Des deux, elle en aura eu plus que n’importe quel dirigeant de ce pays qui s’il devait être chassé du pouvoir préférera - à coup sûr - le sort d’un Ben Ali s’enfuyant en vidant les caisses ou d’un Moubarak derrière les barreaux.
Les algériens dont on attendait qu’ils soient les précurseurs de la révolution arabe sont réticents nous dit-on. Insensibles à tous les Bouazizi qui se consument pour éclairer le chemin de la liberté. En vérité, ils ne veulent pas des demi-mesures vers lesquelles leur paraissent s’acheminer la Tunisie et l’Egypte. Ils veulent, encore moins, de la menace de l’OTAN dont les armes semblent autant braquées sur Khadafi que sur notre pays. Mais les algériens savent aussi que, contrairement à ce que dit le pouvoir, le 5 octobre n’était pas une anticipation de ce que certains peuples n’accompliraient qu’après nous. Ce genre de flatterie ne prend plus. Les algériens savent que ces pays ont connu, eux aussi à la fin des années 80, ce qu’on avait réduit à des émeutes de la faim. Comme notre pouvoir n’a pas résisté à qualifier octobre 88 ou les protestations de janvier dernier, avant de se raviser et d’en faire la preuve de la gloire éternelle du peuple algérien. Les Tunisiens et les Egyptiens étaient indépendants avant nous.  Ils ont fait tomber des despotes avant nous. Et alors ? C’est juste un encouragement à aller plus loin. Le peuple algérien, dans son infinie sagesse, fait preuve de patience. Il se méfie d’un cheval de Troie appelé réforme, il veut une révolution. Il veut solder tous les comptes. Comme il l’a fait avec le colonialisme. Ses comptes, il les tient depuis l’indépendance. Il ne pourra peut être pas égrener les noms de toutes les victimes, mais il se rappelle qu’il y a eu des morts dans les maquis de l’été 62 ou en 1963, il se souvient qu’on a torturé à El Harrach après 1965 et qu’en octobre 88 aussi, que des militants ont été injustement emprisonnés en avril 80 et que des jeunes ont trouvé la mort durant le printemps noir. Le peuple algérien sait que l’impunité ne doit pas couvrir les crimes subis par les victimes du terrorisme islamiste ou les disparus du fait des agents de l’Etat. Il prend, encore poliment, tout ce qu’il y a à prendre, mais il fait comprendre au pouvoir qui prétend octroyer des réformes, que ses projets ne consacrent ni les sacrifices, ni les attentes des forces démocratiques, ni surtout ses avancées considérables et les exigences nées des changements en cours dans le monde arabe. Le peuple algérien veut une seconde république. Il est prêt à ressortir les casseroles pour faire plus de bruit qu’à l’époque où il voulait son indépendance et sa république à lui.
Tout n’est pas rose, et si le pouvoir prétend avoir entendu les cris de détresse, ses nouvelles réformes sont toujours frappées du sceau du despotisme parce qu’elles intègrent ses seuls soucis de maintien. Oui c’est pénible je sais, mais le pouvoir paraît être encore dans des calculs visant à maintenir son hégémonie et enlever l’initiative du changement aux démocrates. En effet, si les réformes prétendent prendre en charge certaines des contraintes les plus flagrantes du système en matière d’information et d’audiovisuel, de création de parti ou d’association, sa démarche reste marquée par la volonté de contrarier la rupture. Sa réalisation ne peut donc que prolonger la situation actuelle. Cela a déjà été le cas avec les accords signés avec le Mouvement citoyen, la réforme du code de la famille, ou la levée de l’état d’urgence en maintenant l’interdit des marches à Alger. Vidées de leur substance ! L’aboutissement de véritables réformes exige une légitimité démocratique et un changement de Constitution assurant le caractère transpartisan des institutions dont l’ANP, impliquant la séparation du politique et du religieux ainsi que la dissolution de tous les partis /Etat qui forment l’Alliance présidentielle et en particulier la restitution du sigle du FLN au patrimoine des algériens, l’éradication du terrorisme qui montre les crocs à chaque fois que ça grenouille dans les appareils, et enfin la remise en cause radicale d’une orientation socio-économique imposée par la mondialisation néolibérale qui laisse le pays dépendant de la rente pétrolière. C’est l’automne et il n’y a pas que les feuilles qui doivent tomber ! Le pouvoir algérien n’y échappera pas, nous entrerons, nous aussi dans cette belle mêlée arabe, avec la même énergie, avec le même souci unitaire. Ce gouvernement, ce pouvoir doivent partir car ils ne peuvent pas accomplir les premières tâches urgentes. Ils doivent dégager mais pas pour laisser place à des technocrates qui reproduiraient, voire approfondiraient la dérive actuelle au prétexte qu’ils le feraient sans à priori idéologique. Ne laissons surtout pas s’installer un pouvoir truffé de technocrates, aussi obtus que les idéologues actuels, et qui viendraient, au nom de la bonne gouvernance, se vautrer dans les résidus de la réconciliation nationale bouteflikienne, usurpateurs qui nieraient la nature politique de la crise et les intérêts contradictoires qui s’opposent, assurant, en bons commis commerçants, la promotion d’un savoir-faire qui en ferait les authentiques défenseurs du bien commun et qui voudront eux aussi ratiboiser les coûts sociaux et optimiser les dépenses publiques. Il souffle un vent de liberté qui résonne comme un canon aux oreilles du pouvoir. Partout bruissent les débats sur ce qui nous concerne, énerve, réjouit. Un premier moment de rupture approche. Nous n’en n’avons jamais été aussi près. Comme du cinquantième anniversaire d’une indépendance confisquée. Ne nous laissons pas déposséder, encore une fois. Ce premier moment sera le produit des luttes en cours, avec les possibilités nouvelles qui existent déjà, avec les limites que notre histoire et la réalité internationale font encore peser. Mais comme dit Gramsci, après la lutte il n’y a qu’une chose de certaine : la lutte. Encore. Et avec elle, l’esprit de sédition, l’espoir, l’utopie radicale. Ceux que n’ont  jamais abandonnés les algériens. 

Le Renard

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